"Chercher l’essence de l’être, dans un geste »
- Brigitte Mailloux
- 8 déc. 2017
- 3 min de lecture
En lisant Rilke…
Je me souviens, je dévorais Lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke. Je m’imaginais, ou bien le vivais-je (?), que j’entreprenais, fraîche étudiante récemment arrivée dans la capitale, mon initiation à la vie. Seulement, j’ignorais alors qu’elle ne s’achèverait jamais.
La sophrologie m’a fait prendre conscience que jamais la roue du changement ne s’arrêterait de tourner, emportant avec elle, passé, présent, futur.

Avec la méthode réactualisée d’Alfonso Caycedo, j’ai vécu la technique d’entraînement phronique tridimensionnelle et, en particulier, technique spécifique du troisième degré centrée sur le passé, la sophro-mnésie senso-perceptive. Dans une vivance, plus localisée au niveau de mon premier système, j’ai ainsi précieusement ramené de mon passé très lointain ma capacité de crier et puis de rire sur l’expiration, et, à l’inspiration, de me ressourcer, de me libérer en communiant intimement avec la vie qui m’entoure. Une autre fois, j’ai vécu intensément dans mon cinquième système le tonus musculaire de mes jambes, au présent j’ai senti des fourmillements dans les pieds qui me donnaient envie de courir, j’ai fait l’expérience de ma capacité de me mettre en marche. Il y a quelques jours j’ai vu avec émotion mes yeux s’ouvrir pour la première fois. Je contemplais un monde sans images- qu’importe- l’essentiel s’était présenté à moi. Je l’ai accueilli avec des pleurs de joie d’avoir retrouvé ce pouvoir ( ce pou-voir ), et de tristesse de l’avoir perdu. Ce n’est pas un passé virtuel, mais un passé charnel qui m’a été donné de vivre avec cette technique. Mon présent s’est empli d’impressions « primaires» alors que mon passé et mon futur devenaient différemment présents !
Ce matin, je lisais encore Rainer-Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge. J’ai été arrêtée par quelques phrases résumant de façon concise et sobre ce que j’avais mis plusieurs semaines à voir émerger. Voilà ce qu’écrit délicieusement bien le poète :
« Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-même ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »
Le but du pratiquant en sophrologie n’est peut-être pas d’écrire des vers, mais bien, comme le poète, de chercher l’essence de l’être, dans un « geste », par exemple un pas, dans un « regard » neuf porté sur soi et sur le monde, et dans le « sang » dont la circulation fait ressentir même aux plus débutants des picotements. La technique de sophro-mnésie senso-perceptive me paraît une voie précieuse qui peut mener vers ce but car elle permet d’épurer les souvenirs -« ils n’ont plus de nom » précise alors Rilke- de lire entre les lignes d’un quotidien à moitié effacé pour n’en garder que la substantifique moelle, c’est à dire les souvenirs « qui ne se distinguent plus de nous ». Il faut seulement avoir « la grande patience » de s’entraîner pour pouvoir vivre avec l’étonnement de l’enfant, et lorsqu’on s’y attend le moins, d’abord un « très rare » instant de conscience isocay, puis un autre, et encore un autre, pour enfin construire une nouvelle existence.
Brigitte Mailloux, Sophrologue praticien
Co-directrice de l’Ecole de Sophrologie de La Rochelle
Le 27 février 2004 à Lagord.
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